Comment et pourquoi se pose la question de la prostitution dans les grandes villes au moment où des responsables politiques communaux examinent des projets de sécurisation des lieux de travail des prostituées, comme c’est le cas actuellement à Liège dans le cadre du projet de création d’un «Eros center», inspiré partiellement de l’expérience anversoise (Villa Tinto) ?
Les facteurs essentiels permettant de comprendre aujourd’hui la réalité prostitutionnelle des grandes villes font référence à l’intensification des migrations, la précarisation et le chômage, une certaine discrimination dans le marché de l’emploi des femmes, la recherche de gains faciles, autant de facteurs auxquels se joint un changement des discours sur le sexe et l’orientation majoritaire d’une politique de réglementation de la prostitution préférée à celle de la prohibition.
Des prostituées étrangères
Qui sont les prostituées de nos grandes villes modernes et comment exercent-elles leur métier ? Les responsables policiers ou les associations d’aide aux «travailleurs du sexe» reconnaissent que la prostitution dans les grandes villes fait référence majoritairement à la traite des êtres humains et au contrôle difficile des personnes étrangères, souvent mineures et forcées. Attirées par de fausses annonces (emploi rémunérateur, mariage, etc.) ou par des réseaux d’organisations criminelles, sans ressources à l’étranger ou vendues à des mafias locales, elles représentent aujourd’hui, selon le rapport 2009 de l’ONG TAMPEP, la moitié des travailleuses du sexe en Europe, avec des pics de 70 à 90% dans des pays comme l’Italie, l’Espagne, le Luxembourg.
Il faut évidemment différencier le travail du sexe choisi et la prostitution forcée. Des prostituées exerçant de façon totalement indépendante des réseaux de traite des êtres humains, sont difficilement repérables : il s’agit d’occasionnelles, entrées parfois très jeunes dans la prostitution (14-16 ans) grâce à des démarches intermédiaires d’initiation (photos, soirées, hébergement) et de personnes travaillant par nécessité, offrant leurs services en échange d’un repas, d’un hébergement, d’achats.
Et des pratiques nouvelles dans les grandes villes
Dans un premier temps, le travail visible des prostituées renvoie au racolage extérieur. Or, la répression du racolage a provoqué plusieurs changements, comme notamment une tendance à la clandestinité, surtout pour éviter des amendes, et l’aggravation de la précarisation des prostituées. Cette répression a par ailleurs engendré des difficultés pour les associations de terrain qui ne peuvent plus facilement atteindre ce public cible. La pratique de la prostitution sur la voie publique s’est transformée et a vu émerger une prostitution diurne de «marcheuses» selon de nouveaux horaires, à l’habillement banalisé et avec de nouveaux modes de mise en relation avec les clients : numéro de téléphone, prise de rendez-vous, versement d’une partie de l’argent en amont à un intermédiaire, etc.
A côté de la «couverture» d’enseignes commerciales, la prostitution revêt encore d’autres formes : il ne s’agit plus seulement de bars à hôtesses ou d’instituts de massage, mais de relations sexuelles dans les bois, dans des camionnettes, les parkings, les portes d’immeubles, les voitures des clients…, ces pratiques se faisant hors de portée des policiers et des associations. L’évolution majeure, telle qu’on le constate à Paris, se manifeste par une «sortie» des grandes villes (même si les rues historiques subsistent) pour s’établir sur les axes de circulation, les boulevards périphériques, les zones boisées. Certains chercheurs notent même que les travailleuses du sexe se déplacent des grandes villes à forte présence policière vers des villes de taille moyenne.
La prostitution est un fait social, impliquant souvent un volet proxénétisme, qui s’est fortement « clandestinisé », diminuant sur la voie publique mais augmentant dans les lieux clos ou de passage transitoire. Dans un second article, nous examinerons comment les proxénètes se sont adaptés à l’évolution du phénomène prostitutionnel dans les grandes villes et comment la lutte contre cette exploitation sexuelle peut s’orienter.
Axelle François
Criminologue
Source : http://www.acpe-asso.org/public/pdf
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