Au-delà de la prostitution sous contrainte

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mardi 18 octobre 2011

Belgique : Rapport annuel "Traite et trafic des êtres humains 2010"

Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme vient de publier son rapport annuel "Traite et trafic des êtres humains 2010". Par l’intermédiaire de ce rapport annuel, le Centre évalue la politique belge en matière de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains. 
Cette année, le rapport annuel se focalise sur la traite des êtres humains à des fins d’exploitation économique. 

Extrait  du  dossier

Le dossier nigérian à Turnhout (lié à l’ancien dossier des salons à Liège)
Dans ce dossier, le parquet de Turnhout avait requis un non-lieu pour les prévenus. La chambre du conseil a suivi le parquet et a prononcé le non-lieu le 22 avril 2011. Les faits datent déjà de la période 2000-2002. 
Une des victimes a contracté le VIH durant sa prostitution forcée. 

Problèmes d’une enquête qui traîne 
Dans ce dossier, le réseau nigérian de traite des êtres humains repose sur une petite entreprise familiale. Il s’agit d’une ramification du dossier des salons de Liège, avec comme prévenu principal le manager N. Nous avions pris comme exemple ce type de réseau commercial à grande échelle dans le rapport annuel de 2007. 
Le réseau nigérian du dossier de Turnhout comptait parmi les fournisseurs des filles employées dans la prostitution. Les victimes sont apparues dans trois enquêtes judiciaires à Liège, Bruxelles et Anvers, menées au départ séparément. Elles avaient obtenu le statut de victimes sur la base de déclarations reprises dans le dossier liégeois de grande envergure. Elles n’étaient plus disposées à témoigner, car cela risquait de les mettre encore plus en danger, elles et leurs familles. Le magistrat habilité dans le dossier de Turnhout n’a pas demandé d’enquête téléphonique. La mission rogatoire en Irlande visant à perquisitionner et entendre un coïnculpé a traîné jusqu’en 2009, ce qui a donné lieu à de nouvelles auditions en 2010. 

Contexte 
Le P.-V. de synthèse de 2010 donne une idée du contexte dans lequel les réseaux nigérians de traite des êtres humains sont apparus et persistent encore aujourd’hui. Le revenu national nigérian se compose, à plus de 98%, de productions pétrolières. La richesse n’est pas distribuée équitablement. 91% de la population dispose de moins de deux dollars par jour. En 2007, 170.000 personnes ont été emportées par le Sida et 3,1% de la population entre 15 et 49 ans est contaminée par le VIH. 
Lorsque l’exploitation du pétrole a commencé dans les années 80, de grandes zones agricoles ont été détruites et, avec elles, la source de revenus de la population rurale. Certaines femmes, mariées pour la plupart, se sont vues contraintes de se prostituer pour les travailleurs de l’industrie pétrolière. Dans les États Edo et Delta, dont étaient originaires la majorité d’entre elles, la prostitution n’est pas socialement acceptable. Mais lorsqu’un homme perd son emploi et n’est pas en mesure d’assurer la survie de sa femme, c’est elle qui doit subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants. La prostitution est alors une manière rapide de gagner de l’argent et les hommes sont souvent prêts à la tolérer. Les trafiquants d’êtres humains se sont d’abord tournés vers les filles et les femmes de Benin-City à Edo, mais leur attention s’est entre-temps déplacée vers les campagnes de cet État. 
Les femmes qui avaient travaillé dans la prostitution au Nigeria s’étaient rendues en Europe, car la demande en femmes africaines travaillant dans la prostitution y était grande. Elles ont mis en place un commerce lucratif qui a généré un flux de femmes travaillant dans la prostitution vers l’Europe. Il s’agissait des premières Madames, qui avaient elles-mêmes travaillé dans la prostitution et s’en étaient affranchies. Pour ce faire, elles avaient introduit à leur tour de nouvelles victimes dans la prostitution. Ces Madames sont revenues d’Italie, d’Espagne, de Belgique et des Pays-Bas avec suffisamment d’argent pour construire une maison, voire plusieurs dans certains cas. Cela a eu pour conséquence que d’autres femmes, moins pauvres, ont également voulu travailler en Europe et que des parents y ont envoyé leurs filles. Ils ne se doutaient pas que la chance de revenir riche était particulièrement mince. 
Nombreuses sont celles qui n’ont pas une idée correcte des attentes et des conditions dans lesquelles elles doivent travailler. La plupart des victimes n’atteindront jamais leur but et se retrouvent ici dans des conditions misérables, navrantes et inhumaines. Au Nigeria, la famille est déjà contente si la victime est capable de ramener 20 euros par mois. 

Victimes 
Le P.-V. de synthèse de 2010 décrit une victime nigériane comme suit : il s’agit généralement d’une femme, la vingtaine entamée, originaire de Bénin-City et issue d’une famille nombreuse à bas revenu. Elle est peu instruite et n’a pas ou peu d’expérience professionnelle. Généralement, la femme sait qu’elle va se prostituer, même si, dans certains cas, on a promis à la victime un job de serveuse, de gardienne d’enfant ou d’aide-ménagère. 
Généralement, les différentes victimes voyagent ensemble, encadrées par des accompagnateurs qui alternent toujours, pour traverser différents pays d’Afrique et d’Europe avant d’arriver en Belgique. Le voyage dure parfois quelques mois et transite par le désert et/ou des traversées maritimes sur de petites embarcations dangereuses. Souvent, elles doivent gagner de l’argent en cours de route, en Afrique, en se prostituant pour payer leur voyage. Si elles tombent malades, elles sont abandonnées à leur sort en chemin. On estime que la moitié des filles sont récupérées en cours de route et renvoyées au Nigeria. 
À son arrivée en Belgique, la victime est enfin transmise au chef du réseau, qui la place dans la prostitution ou la revend. La victime a alors droit à l’énoncé classique qu’elle a de nombreuses dettes de voyage à rembourser et accepte généralement sans broncher. Elle travaillera ensuite des années pour les rembourser, et donc sans pouvoir envoyer le moindre sou à sa famille. Certaines filles espèrent, une fois leurs dettes remboursées, pouvoir travailler elles-mêmes comme Madames et mener une vie prospère en Europe. La traite des êtres humains nigériane ne se caractérise pas seulement par son management féminin, mais aussi par une structure organisationnelle qui se reproduit. D’autres victimes préfèrent en revanche retourner au Nigeria, mais craignent d’être méprisées et rejetées par la famille parce qu’elles n’ont pas pu amasser suffisamment de richesse. 

Déclarations des victimes 
Deux victimes nigérianes avaient porté plainte pour traite des êtres humains dans le dossier des salons de Liège. Elles ont été recrutées au Nigeria par un homme d’affaires et y ont subi une initiation dans un rituel vaudou. Une fois arrivées en Belgique, elles ont dû introduire une fausse demande d’asile sous une fausse identité soudanaise grâce à un avocat anversois, qui a lui-même été jugé dans l’intervalle dans une affaire de traite des êtres humains. Elles recouraient à ces documents pour pouvoir travailler dans le Schipperskwartier à Anvers et dans les salons de prostitution à Liège. La moitié de leurs revenus de prostitution devait être payée au manager N. des salons liégeois, et l’autre moitié à leur Madame nigériane. Selon leur Madame, elles devaient 50.000 dollars pour le voyage, les faux documents et l’organisation des activités. Si elles ne ramenaient pas assez d’argent, elles se faisaient battre violemment par leur Madame. Leur famille au Nigeria était menacée par le frère de la prévenue s’il leur venait l’idée de faire une déclaration compromettante à leur encontre. Les victimes étaient sous l’emprise de la peur et ne désiraient pas coopérer à une confrontation avec la photo de leur Madame. Une troisième victime qui avait porté plainte avait, outre les salons liégeois, fréquenté également le monde de la prostitution du quartier nord de Bruxelles. Elles avaient toutes le statut de victimes. 
Lors d’une enquête complémentaire dans ce dossier, une victime déclara en 2010, soit 10 ans environ après ses premières déclarations dans le dossier des salons liégeois : "Très récemment, les membres de ma famille ont été menacés suite à une enquête approfondie menée apparemment par vos services dans cette affaire. J’apprends à présent les raisons, à savoir les auditions de X, Y et Z. Afin de protéger ma famille, je ne désire pas accéder à votre requête de me confronter aux personnes impliquées dans ce dossier. Je ne veux plus jamais être confrontée à elles. Je sais que nous sommes en sécurité ici en Belgique, mais vous ne pouvez rien faire au Nigeria. Les familles de X et Y bénéficient de beaucoup de considération et de respect au Nigeria et sont très riches. Elles possèdent différentes propriétés et appartements et ont beaucoup d’argent. Là-bas, elles peuvent acheter tout et tout le monde. Ma famille, par contre, n’a pas d’argent et doit tout subir. Je ne veux plus leur apporter de problèmes. À partir d’aujourd’hui, je souhaite que vos services me contactent au sujet de cette affaire uniquement par le biais du centre Sürya, qui me représentera. Je désire bien continuer à collaborer pour la suite de l’enquête."

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